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Audrey Minaud

-Toi tu joues trop avec le miroir. Le résultat est simple, il arrive rapidement même. Tu joues avec le miroir et ton corps qui s’y reflète ne t’appartient plus vraiment. Mais tu te vois plus loin, un pas plus loin que le vrai toi. Ton faux visage ne sourit pas, il t’observe obstinément. Tu passes la main sur ton cou et tu imagines que c’est cette autre main, cette main visiblement inconnue, tu imagines cette main-ci qui glisse ses doigts froids sur ta peau. Tu commences presque à y croire. Ceux qui te scrutent dans l’obscurité ce sont tes doubles, ils sont pareils à toi et peuvent très bien s’identifier à ton corps qui respire et qui sue et qui tremble et qui est beau. Il est beau parce qu’il brille un peu, parce qu’il rougit et parce qu’il est imparfait. Il est beau parce qu’il est vivant et seul au milieu du regard de tous. Est-ce que tu t’en rends compte ? Il est unique. Tu le vois ce corps dans le miroir et tu vois aussi ce que tu ne voudrais pas voir. Tu connais trop tes défauts pour les accepter sur quelqu’un d’autre. Ce reflet expose au public ton horrible nez proéminant, tes mâchoires anguleuses et puis ta peau bleue par endroits, les cicatrices récentes sur ta peau encore jeune. On peut tout voir, tout percevoir et partager dans ce miroir, c’est effrayant de vérité. Les yeux te piquent encore de ta dernière peine, cet air de chien battu est pathétique. Pourtant tu savais ton besoin profond d’affection, ton incapacité partielle à communiquer et ce besoin primaire de respirer. Tu t’es oublié. Ton plaisir ici et maintenant de contempler ce corps étrangement familier et pourtant le plaisir de le contempler avec détachement. Ce plaisir tu l’as oublié aussi ? Déchiffrer son regard qui va tout te dire de toi, dénombrer les taches sur sa peau qui est presque la tienne, et faire cela avec un sourire au travers du visage. Te rendre heureux parce que tu te veux heureux tout simplement. Toi tu joues avec le miroir et c’est ton âme que tu te prends en pleine face.

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